Comment lutter contre le harcèlement moral en tant qu’employeur ?


On ne le répètera jamais assez, l’employeur est tenu à une obligation de sécurité qui l’incite à lutter contre le harcèlement moral au travail. Elle se décline en une obligation de prévention du harcèlement et à l’action immédiate en cas de situation de harcèlement moral. 

Lorsque l’on est victime de harcèlement moral, et que l’on souhaite lutter contre, plusieurs étapes sont à suivre. Engager la discussion. Alerter l’employeur. Dénoncer par plainte ou saisine du conseil de prud’hommes. Ces étapes sont détaillées dans les articles correspondant. 

La seconde étape vise à prévenir l’employeur. Et lui permettre de réaliser son obligation de sécurité. Car celle-ci n’est pas seulement préventive. La jurisprudence exige également la mise en place de mesures visant à lutter contre le harcèlement moral. Notamment la protection de la victime.

Cet article vise à donner des pistes aux employeurs pour lutter contre une situation de harcèlement moral. Il ne sera pas fait mention du cas où le harceleur est l’employeur. Mais de celui où l’employeur est bien en dehors de la situation de harcèlement psychologique. 

On rappelle toutefois que l’auteur des faits s’expose à une infraction de l’article 222 du code pénal. Par conséquent, en ayant des agissements hostiles répétés envers une personne, il encourt les peines et sanctions décidées par la justice (amende voire emprisonnement).

Ainsi, cet article relève surtout du droit du travail. Outre la conformité du contrat de travail, les différents organismes (inspection du travail, conseil de prud’hommes) tiennent également compte des conditions de travail susceptibles de porter atteinte au salarié victime. 

Or en matière de harcèlement moral, c’est à l’employeur d’apporter des éléments de preuve. Justifiant qu’il a mis en place des mesures préventives mais également qu’il a réagi de manière appropriée après avoir été alerté.

Une réponse immédiate et appropriée 

C’est l’article L4121-1 du droit du travail qui établit l’obligation de sécurité de l’employeur. Ce dernier doit donc veiller à protéger ses employés de tout ce qui est susceptible d’altérer leur santé physique et mentale. Les protéger de tous les risques psychosociaux. 

Mais il est complété par l’article L1152-4 qui stipule que l’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir les actes de harcèlement moral.

Une infraction à l’obligation de prévention constitue donc un délit. Et l’employeur serait susceptible d’être puni pour un tel manquement. 

​En revanche, il n’existe pas d’article de loi établissant clairement la nécessité d’une réponse immédiate de l’employeur en cas de harcèlement moral.

C’est la jurisprudence de la cour de cassation qui a établi cela. Notamment via l’arrêt du 7 décembre 2022, n°21-18.114. La Cour de cassation a alors précisé que l’employeur doit, dès qu’il est informé de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, prendre toutes les mesures nécessaires pour y mettre fin

Personne qui court pour une urgence, telle la réaction de l'employeur quand il doit lutter contre le harcèlement moral dans son entreprise : la réaction doit être immédiate et appropriée.

Cet arrêt établit également que l’inaction de l’employeur constitue une violation de son obligation de sécurité et peut engager sa responsabilité.

Ainsi, le signalement de harcèlement moral au sein d’une entreprise nécessite une prise en charge sans délai et appropriée de la part de l’employeur. 

Toutefois, les mesures efficaces peuvent varier. Par exemple, si une enquête interne était systématiquement diligentée, ce n’est plus nécessairement le cas aujourd’hui. 

Mesures à prendre par l’employeur pour lutter contre le harcèlement moral

Les mesures proposées ci-dessous ne sont pas optionnelles et doivent être mises en œuvre dans leur intégralité. 

Par ailleurs, il est vivement conseillé de conserver une trace écrite de toutes les démarches entreprises. Ainsi que des plaintes reçues. 

1. Prendre la plainte au serieux

La première étape est de prendre la plainte de harcèlement moral au sérieux. L’employeur doit écouter attentivement la victime et lui assurer son soutien.

Ensuite, tant que les faits ne sont pas prouvés, il convient de protéger la réputation des deux parties. La confidentialité doit donc être garantie. Autant du côté du salarié victime que de l’employeur.

Par ailleurs, signaler des faits de harcèlement moral n’est pas chose aisée. Les employés craignent des représailles et n’osent pas franchir le pas. La peur notamment de perdre son emploi en est une des raisons. 

Deux personnes qui se mettent leur poings l'un contre l'autre comme preuve de soutien.

Pourtant, on rappelle qu’il est illégal de licencier un employé ayant signalé des faits de harcèlement moral sur son lieu de travail (article L1152-2 du Code du travail). Qu’il soit victime ou témoin. Cela a été rappelé par un arrêt de la cour de cassation du 15 Février 2023, n°21-20.811.

2. Désigner un référent

Ensuite, il est vivement recommandé de désigner un référent au sein de l’entreprise chargé de traiter les plaintes de harcèlement moral. Ce référent devrait être formé pour gérer de telles situations de manière appropriée et impartiale. En général, on le retrouve dans le comité social et économique (CSE) (si l’entreprise a plus de 11 salariés).

Si la taille de l’entreprise le permet, le référent peut être alors le responsable des ressources humaines. On rappelle que lui aussi est tenu d’agir en cas de signalement de harcèlement moral. Tout manquement à cette responsabilité peut avoir des conséquences graves sur lui tel que le retrait de son droit d’exercer. 

​La désignation d’un référent peut également faciliter le dialogue et le signalement par les employés. En effet, demander un rendez-vous avec un supérieur hiérarchique peut être intimidant. Le référent, lui, bénéficie d’une image de collaborateur ce qui le rend plus abordable. 

3. Lancer une enquête interne

En effet, l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement moral stipule qu’en plus de l’obligation de réaction rapide, l’employeur doit lancer une enquête interne. Celle-ci doit être rapidement débutée et approfondie sur les allégations de harcèlement moral. Cette enquête était systématique lors de signalement de faits de harcèlement moral. Elle peut inclure des entretiens avec la victime, le présumé harceleur et les témoins potentiels, ainsi que l’examen de toute preuve pertinente.

Toutefois, dans l’arrêt récent n° 23-13.975 du 12 Juin 2024, la Cour de cassation semble revenir sur cette exigence. En effet, si l’employeur prend des mesures de façon à garantir la sécurité du salarié victime, alors il ne manquerait pas à son obligation de sécurité. Mais on notera que dans cette affaire, les faits de harcèlement moral n’étaient pas établis. Ce qui a pu conduire à cette décision. Cette jurisprudence reste donc à confirmer.  

Ainsi, malgré ce dernier arrêt, il reste préférable pour l’employeur de mener une enquête interne pour pouvoir se protéger d’un manquement à son obligation de sécurité.

​Quelles règles pour mener une enquête interne?

Le code du travail reste flou quant à ce qui doit être fait. Mais différents arrêts de la cour de cassation ont permis de donner une idée des modalités à suivre:

  • L’enquête peut être confiée à une entreprise externe spécialisée dans la prévention des risques psychosociaux. 
  • L’auteur du harcèlement peut ne pas être informé ni entendu lors de cette enquête
  • L’expert-comptable peut être diligenté par l’employeur pour mener l’enquête dès lors que son impartialité ne peut être remise en cause. Cette décision ne peut être reprochée par le salarié victime.
  • L’enquête ne peut pas être confiée à la personne dénoncée comme étant l’auteur principal des faits de harcèlement. Ce point paraît évident mais il semble important de le noter tout de même.
  • L’enquêteur n’a aucune obligation d’entendre la totalité des collaborateurs de la victime dès lors que les témoignages reçus sont suffisamment probants. L’employeur n’a aucune obligation à cet égard. En revanche, la décision d’écarter et de ne pas entendre telle ou telle personne doit être justifiable objectivement.
  • Il est possible de mener l’enquête conjointement avec un membre du CSE. Mais si un différend existe entre celui-ci et le salarié, la justice peut estimé qu’il s’agit d’un détournement de l’objet de l’entretien et cela ouvre droit à une réparation du préjudice subi. 

On rappelle que les entretiens se doivent d’être individuels, confidentiels et dans un espace clos. Interroger des employés à l’accueil de la clinique ou dans tout lieu ouvert au nez et à la vue de tous (y compris du présumé harceleur) ne constitue en aucun cas une enquête.

Pourquoi l’auteur présumé des faits doit-il être informé de la tenue d’une enquête?

Dans l’arrêt du 17 mars 2021, n° 18-25.597, la Cour de cassation a précisé qu’un salarié mis en cause pour harcèlement moral peut ne pas être informé ni interrogé lors de l’enquête interne diligentée par l’employeur. 

En effet, l’objectif principal de l’enquête est d’évaluer rapidement la situation pour pouvoir protéger les salariés en cas de risques avérés. Elle permet une réaction rapide de l’employeur face au danger du harcèlement moral.

Par ailleurs, une enquête interne n’est pas une procédure disciplinaire. Elle n’a pas de règle procédurales précises. Il n’y a donc aucune obligation de respect des mêmes droits que lors d’une enquête judiciaire ou administrative. Dans le cas desquelles, l’auteur présumé des faits bénéficie du droit à être informé et à se défendre avant la conclusion de l’enquête.

Bien sûr, le droit de défense du salarié mis en cause n’est pas complètement écarté. Mais il est temporairement écarté pour faciliter la réaction rapide de l’employeur.

De plus, informer le présumé harceleur pourrait menacer la validité de l’enquête en la compromettant. Notamment en influençant d’autres témoignages ou en créant des tensions dans l’équipe. Taire la mise en œuvre de l’enquête peut donc permettre d’en garantir l’impartialité.

ATTENTION : si l’enquête conclut à un cas avéré de harcèlement moral, alors le salarié mis en cause devra être informé et avoir la possibilité de se défendre avant toute sanction disciplinaire. Dans le cas contraire, l’enquête pourra être contestée par manque d’équité. Et considérée comme mal conduite. 

Dans tous les cas, la jurisprudence exige que les mesures prises soient justifiées et proportionnées.

​Une enquête interne est-elle une preuve irréfutable? 

Non. Une enquête interne ne lie pas le juge, même si elle conclue à une absence de harcèlement moral.

Cela signifie que le juge reste libre de son appréciation des faits. Il peut prendre en compte les conclusions de l’enquête mais celles-ci ne constituent qu’un élément parmi d’autres. Il peut tout à fait décider de requalifier la situation et dire qu’il y avait effectivement du harcèlement moral. Que cela soit un juge pénal ou civil. 

Cela se justifie par le fait que :

  • ​l’enquête peut être biaisée
  • les preuves collectées sont jugées insuffisantes
  • d’autres éléments sont apportés par le salarié plaignant

De plus, si le juge estime qu’il y a bien harcèlement moral malgré les conclusions de l’enquête interne, alors il peut condamner l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité (article L4121-1 du Code du travail).

Ainsi, l’employeur doit être prudent lorsqu’il réalise une enquête interne. Celle-ci doit être rigoureuse, impartiale et bien documentée. Les étapes de collecte de preuves et des auditions doivent respecter le principe d’équité. 

Enfin, une enquête bien menée peut servir de preuve au juge que l’employeur a réagi rapidement et sérieusement après avoir été alerté de la situation.

Note : l’article L1152-6 du Code du travail prévoit également la possibilité de recourir à une médiation pour traiter les situations de harcèlement signalées dans l’entreprise, ce qui permet de garantir une gestion rapide et impartiale de l’alerte.

4. Protéger la victime

Comment?

Une enquête interne peut prendre du temps. Et il est essentiel de prendre des mesures rapides lors d’un signalement de harcèlement moral. L’une d’elles est de protéger la victime de tout risque de représailles ou de victimisation supplémentaire. Et ce, pendant toute la durée de l’enquête. 

L’idée derrière est cette protection est de ne pas laisser la victime agressable à merci. Un éloignement du harceleur est donc essentiel. Ce point est particulièrement important quand on se rappelle des effets du harcèlement moral sur une victime. 

Rappelons également que la violence psychologique aboutit à une dégradation de la santé mentale. Et celle-ci peut être tellement forte que la victime peut, malgré elle, avoir des pensées suicidaires.

La nécessité de séparer le présumé harceleur et la victime paraît donc évidente. 

Cela peut inclure des changements temporaires dans les responsabilités ou les horaires de travail de la victime. Mais cela peut également se faire via une suspension temporaire de l’auteur présumé des faits le temps de l’enquête. Ce dernier peut également être temporairement muté mais avec son accord.

Précautions à prendre

ATTENTION : cette suspension n’est pas punitive. Il s’agit d’une mesure conservatoire. Le salarié mis en cause ne doit donc subir aucun effet négatif. Son salaire est maintenu et sa suspension est limitée dans le temps. Il doit être informé par écrit des motifs de la suspension (mesure conservatoire liée à une enquête en cours) et de sa durée prévisionnelle.

Bien que le Code du travail ne prévoit pas explicitement cette suspension ou mutation, la jurisprudence reconnaît cette solution.

ATTENTION :  Une suspension injustifiée ou perçue comme disciplinaire peut être contestée par le salarié mis en cause. De plus, si elle s’accompagne d’un arrêt du salaire ou dure trop longtemps, cela pourrait être considéré comme une sanction abusive ou un manquement à ses droits.

Ces solutions temporaires sont donc possibles, mais elles doivent être motivées par la protection des salariés et la conduite de l’enquête.

5. Prendre des mesures correctives

Ces mesures ne peuvent être prises qu’une fois l’enquête réalisée. 

Si les allégations de harcèlement moral sont confirmées, l’employeur doit prendre des mesures correctives immédiates et appropriées

Il dispose de plusieurs mesures correctives qu’il peut prendre face à un employé reconnu coupable d’harcèlement moral. Ces mesures sont destinées à sanctionner le comportement fautif du harceleur et à prévenir toute récidive. 

Il est important que les mesures correctives prises par l’employeur soient proportionnées à la gravité du comportement de l’harceleur. Et qu’elles soient appliquées de manière équitable et cohérente. 

De plus, l’employeur doit veiller à respecter les droits de l’harceleur en lui accordant la possibilité de se défendre et en garantissant le respect de la procédure disciplinaire prévue par la loi et les conventions collectives.

On rappelle qu’à l’inverse du lancement de l’enquête interne, au moment des mesures punitives, l’employeur doit respecter le droit de défense du harceleur.

ATTENTION : Dans les entreprises où un règlement intérieur existe, les sanctions applicables sont uniquement celles qui sont prévues dans ce règlement.

Exemples de mesures correctives

  • Avertissement : L’employeur peut donner un avertissement formel à l’harceleur, lui indiquant que son comportement est inacceptable et qu’il doit cesser immédiatement. Cet avertissement peut être inscrit dans le dossier de l’employé et servir de référence en cas de récidive.
  • Suspension disciplinaire : L’employeur peut décider de suspendre l’harceleur de son poste pendant une période déterminée, généralement le temps nécessaire pour mener une enquête interne approfondie sur les allégations de harcèlement. Pendant la suspension, l’harceleur peut être privé de rémunération. 
  • Mutation ou changement de poste : L’employeur peut décider de muter l’harceleur vers un autre service ou de lui confier des tâches différentes de celles qu’il exerçait auparavant. Cette mesure vise à séparer l’harceleur de sa victime et à réduire les possibilités de nouveaux incidents. L’accord de l’employé n’est alors pas nécessaire puisqu’il s’agit d’une action punitive.
  • Formation et sensibilisation : L’employeur peut imposer à l’harceleur de suivre une formation spécifique sur le harcèlement moral, ses conséquences et les comportements appropriés en milieu de travail. Cette formation vise à sensibiliser l’harceleur à l’impact de son comportement et à lui fournir les outils nécessaires pour changer ses attitudes.
  • Révocation de privilèges : L’employeur peut décider de révoquer certains privilèges ou avantages accordés à l’harceleur, tels que des promotions, des primes ou des opportunités de développement professionnel. Cette mesure vise à faire comprendre à l’harceleur les conséquences de son comportement et à dissuader toute récidive.
  • Licenciement : En dernier recours, si les mesures précédentes ne sont pas suffisantes pour mettre fin au comportement de harcèlement, l’employeur peut décider de licencier l’harceleur. Le licenciement peut être motivé par une faute grave ou un manquement aux obligations contractuelles de l’employé. 

6. Sensibiliser et former

Pour prévenir le harcèlement moral à l’avenir, l’employeur doit sensibiliser et former régulièrement ses employés aux politiques et procédures en matière de lutte contre le harcèlement. 

Il est essentiel que tous les membres du personnel comprennent les conséquences du harcèlement moral et sachent comment signaler de tels comportements.

Les différents managers doivent particulièrement y être sensibilisés. Ils sont les premiers échelons permettant de contrôler les relations au sein des équipes.

7. Suivi et prevention

Une fois l’enquête terminée, l’employeur devrait assurer un suivi régulier pour s’assurer que la situation est résolue. Que des mesures préventives sont bien mises en place pour éviter tout incident similaire à l’avenir.

Ce suivi est particulièrement important lorsque le choix a été de former l’auteur présumé des faits.

 CONCLUSION

En conclusion, le signalement de harcèlement moral est une question sérieuse qui nécessite une réponse rapide et efficace de la part de l’employeur. 

En prenant des mesures appropriées pour protéger la victime, enquêter sur les allégations et prévenir toute récidive, les employeurs peuvent contribuer à créer un environnement de travail sûr et respectueux pour tous leurs employés.

Mais rappelez-vous


Mieux vaut prévenir que guérir


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